Le point de départ de cet article est une question posée via twitter : « comment construis-tu tes synopsis, les développes-tu, etc. »
Et aussi : « comment organiser la créativité sans l’étouffer. »
Créativité et construction… Vaste débat ! La créativité s’apparente à une boîte noire d’où peuvent surgir des idées et ce, à tout moment. Il suffit d’un déclencheur (film, musique, télévision, échange sur twitter, une image, un morceau d’image, une couleur, une réflexion, une lecture sur le web ou ailleurs…).
Le mot construction implicite un modèle (ne serait-ce qu’une chronologie) et déjà, une hiérarchisation des idées accouchées par la boîte noire, un début de mécanisation de la créativité.
À mon sens, le synopsis (de travail s’entend) est un couplage entre ces deux mondes difficiles à concilier. La jonction est rarement immédiate, dans le sens : « j’ai une idée, j’essaie d’en faire un début d’histoire, de la poser dès qu’elle arrive. »
En moyenne, il s’écoule deux à trois semaines (parfois davantage) avant que je commence à « formaliser » ou à « poser » des éléments de base d’une « idée d’histoire ». En général, j’attends que la pression augmente, c’est-à-dire que ma boîte noire me titille de plus en plus sur une thématique précise. À ce stade, je ressasse plusieurs fois des embryons du récit. Je les manipule comme des objets dans mon esprit. Il me vient des images, des morceaux de phrases, j’imagine des personnages, je me monte des séquences entières (en gros, je me fais des films). Je peux prendre une ou deux notes sur un élément que je ne veux pas oublier, surtout que ça va très vite : aussitôt pensé, aussitôt envolé. Il existe alors un moment où la « masse critique » devient suffisante et l’accumulation des idées me porte alors vers une séance de défrichage. J’aligne alors les morceaux de phrases, des idées, des ébauches de concepts. Techniquement, rien de bien compliqué, j’ouvre un carnet de notes et je me dis : « OK, on pose tout ça sur la table. » C’est un peu comme jeter un puzzle et commencer à trier selon les couleurs, les bords, les formes…
Ça peut-être aussi simple et rapidement exprimé que cela :
« – On décrit les lieux de plus ou moins désolation car nous sommes dans un monde en perdition
du fait de la montée des eaux, des pénuries en tout genre, des guerres et du chaos économique [ À infuser ? dans le background, notamment le changement de leadership => « wouah, des yuans garantis par la banque de Chine » ?? ].
– Les plus faibles n’ont pas été épargnés et des villes entières sont plus ou moins devenues des
sortes de bidonvilles [ Au choix ici, on peut prendre une ville européenne afin de bien marquer la différence entre aujourd’hui et le futur… On peut aussi prendre un contre-pied géographique : genre façade océanique désertique -Somalie ? Des pirates dans le coup ?- ou carrément nordique : Norvège / Alaska ] » ( tiré de mes premières notes sur la série Exil, brut de fonderie )
Ce qui se produit immanquablement : je m’interroge en même temps que je pose les éléments d’idées. Ces questions, je ne les écarte pas, au contraire : il faut constamment s’en poser. Personnellement, j’ai choisi de les signaler entre crochets [ … ] ou parenthèses ( … ). À ce stade, les réponses m’importent peu, elles ne me sont pas nécessaires.
Les questions agissent comme des catalyseurs parce qu’une fois posées, elles en appellent immédiatement d’autres.
Je les déroule, je les saisis comme elles me viennent, sans censure, sans concession. Je me trouve alors dans une situation d’écriture libre au kilomètre qui ne s’interrompt qu’une fois le filon épuisé -pour cette séance au moins. Il s’agit d’une phase plutôt jubilatoire sans considération de forme ou d’arrangement. Dans le cadre d’un texte court ou d’un petit roman, c’est un proto-premier-jet ; un substrat brut de décoffrage mais déjà intéressant.
Les items sont alignés les uns en dessous des autres, séparés par des sauts de lignes ou regroupés en paragraphes, pas forcément dans l’ordre non plus. Je peux aussi avoir des séquences rédigées comme des dialogues ou des descriptions.
Au final, je sais déjà -ou pas- si je tiens un « quelque chose ». En me relisant, je peux voir des thématiques se dégager, voire même des chapitres se dessiner, des personnages s’animer, un embryon de structure qui deviendra un synopsis. J’estime le potentiel, je vois si je parviens à me projeter dans l’histoire et, point important, si je peux déjà imaginer une fin / un twist.
C’est là où je me dis : « OK, move on », « Laisse tomber, à classer » ou « Pas assez mûr, mais y’a un truc ».
Si le 1 l’emporte, je mets en place les fondements du synopsis. Je classe les crochets, les points, je hiérarchise, je construis un début de timeline, je commence à ébaucher les personnages et à apporter des réponses aux questions. J’estime le découpage à la -grosse- louche.
Je dispose les éléments sur un tableau ; des briques que je peux changer, retirer, glisser, mettre à côté d’une autre, je peux lier, fusionner, compiler, etc. Cela ressemble un peu à un travail d’enquêteur (Comme si je menais une investigation sur l’histoire). Chaque brique peut-être une scène, un dialogue, un concept, une arme, un objet, une description, une image, un lieu, un personnage… Parfois, c’est juste un mot ou deux ou bien un texte de plusieurs centaines de mots que j’importerai ou pas dans le texte. Je consacre une ou plusieurs briques au synopsis plus ou moins rédigé (plusieurs si c’est une série avec des épisodes). Il s’agit ni plus ni moins de reprendre les items du défrichage et de les développer. La création du synopsis de Toxic a prit un mois, celui d’Exil une dizaine de jours
Toutes les briques du tableau ne sont pas forcément utilisées, et même durant l’écriture du premier jet, de nouvelles briques peuvent apparaître, d’autres disparaissent.
Ainsi, le synopsis est un objet vivant : il évolue au gré des inspirations, du développement de l’histoire. Je déplace des briques, j’en créé de nouvelles, j’en mets de côté.
Techniquement, ça se traduit à l’écran par un tableau avec des icônes qui sont autant de post-it. Chaque icône possède des propriétés (Une fiche personnage masculin, un perso alien, un animal, un élément de background, une note, une scène, le synopsis d’un chapitre ou d’un épisode, le premier jet d’un chapitre, un essai etc). Le programme me permet de créer mes propres icônes, de générer mes propres thématiques.
Un élément important : je dois visuellement tout avoir sous les yeux, l’histoire que j’écris est « étalée » / « éclatée » sur le tableau.
J’ai aussi besoin d’un maximum de souplesse. Je dois avoir le droit à l’erreur ( Si je me rends compte à l’écriture qu’un élément ne va pas fonctionner) et je dois aussi pouvoir faire n’importe quoi, suivre mon instinct quitte à évacuer l’idée plus tard.
La scène de la catapulte dans Toxic relève typiquement de ce cas de figure : elle n’est pas dans le synopsis d’origine. Elle m’est venue bien plus tard, à l’écriture du premier jet, alors que j’avais regardé sur le net une série de photographies sur les refuges. Je me souviens de l’image d’une maison-bunker sur pilotis, tout en hauteur, avec toit-terrasse. Le cheminement qui mène de cette image à la catapulte à zombies est indirect. J’ai trouvé l’idée d’une maison-bunker géniale, en hauteur les héros seraient hors d’atteinte. Avec en corollaire : comment en déloger les personnes à l’intérieur ? Elle est inaccessible, avec des murs épais, etc… Passer par le toit alors ? Mais comment atterrir sur le toit ? Les questions s’enchaînent et j’en arrive aux verbes lancer, catapulter…
La catapulte a nécessité des aménagements du récit. Par exemple, la maison-bunker sur pilotis s’est révélée une fausse bonne idée. Il faut bien viser pour atteindre le toit, ça suppose des réglages, des ratés, donc du bruit qui alerte les héros ( l’éditeur a bien relevé les soucis que posait cette intégration en sous entendant qu’il faudrait peut-être l’abandonner). Mais je tenais à ma catapulte. La maison sur pilotis est devenue villa-bunker entourée de douves, un domaine plus vaste, moins spectaculaire qu’une baraque sur pilotis, au final cela a amené les scènes dans les douves et l’idée de la panic-room. La mort de l’idée (bunker sur pilotis) a donné vie à d’autres possibilités. Mais ça n’a pas modifié la trame fondamentale du récit.
Si les pièces maîtresses du synopsis sont toujours là, les briques changent, de ce fait il subit une sorte de dérive par rapport à la ligne originelle. La plupart du temps, il s’agit de faire une boucle autour de la ligne principale, mais parfois c’est un écart plus conséquent : nouveau personnage, nouvel arc narratif, mort d’un perso…
Pour une série, disposer d’un synopsis est à mon sens essentiel. Il peut s’écouler des semaines entre l’écriture de 2 épisodes. Le synopsis permet de me remettre rapidement en selle sans me demander : » Bon ok, il faut se mettre à l’épisode X : je raconte quoi ? » Des mois, voire des années, peuvent séparer les premiers épisodes des derniers. Je dois pouvoir me rappeler comment j’ai eu une idée et pourquoi [ J’en reviens à mes histoires de questions dans les crochets… ]. Je peux ainsi refaire le cheminement de ma pensée.
Ensuite, plus une série est longue, plus la dérive est importante. En un sens, c’est logique et même sain, c’est révélateur d’un potentiel quand je vois que je peux déployer ou renforcer des arcs narratifs, quand l’histoire « s’auto-nourrit ».
C’est aussi à ce moment-là, qu’un regard extérieur peut révéler des éléments insoupçonnés.
La dérive synoptique est bénéfique, elle permet de laisser libre court à la créativité, de ne pas l’étouffer (en se disant : mince, je peux pas mettre ça parce que ce n’est pas dans le synopsis). Le synopsis n’est pas gravé dans le marbre, il peut changer parce qu’en cours de route, je vais avoir d’autres idées. Durant l’écriture on imagine des scènes meilleures, des situations plus intéressantes à exploiter.
Ceci étant, je ne dois pas dériver au point de perdre les objectifs initiaux ou de me fourvoyer dans une impasse. En ce sens, le synopsis est aussi une bible ou une carte, il permet de ne pas me perdre en route, de reculer pour reprendre le fil principal.
Même après le premier jet, le synopsis continue d’évoluer. Et encore après. Les corrections éditoriales ou autres peuvent amener à des évolutions. Par exemple, l’éditeur peut conseiller de tuer un personnage alors que ce n’était pas prévu dans le synopsis…
J’enrichis aussi le synopsis avec ce que j’appelle la bibliothèque d’idées. Je passe du temps à lire des articles, blogs, les textes d’autres auteurs, à me promener, faire du sport, m’aérer, discuter avec les gens… Chaque expérience (une photo, un mot, un morceau de vie quotidienne) peut donner lieu à une entrée dans la bibliothèque. Un soir, je regardais un documentaire animalier sur les éléphants, l’aventurier expliquait le rôle de la trompe. J’ai ouvert une entrée :
» Un nez, un bras, une main : Tout cela à la fois. La trompe, un appendice multifonction pour une espèce d’alien. Avec détecteur de vibration dans la trompe, à l’extrémité. » Pourquoi un détecteur de vibration ? La vérité est que j’en sais rien. À ce jour, j’en ai encore rien fait, mais cela servira peut-être.
À mesure que la bibliothèque s’étoffe, l’esprit établit des connexions ( je me souviens avoir noté quelque chose sur tel ou tel sujet… ) Cela m’amène à une loi capitale : « si ce n’est pas écrit, alors ça n’existe pas. »
Tant que je n’ai pas « capturé » cet instant, il demeure virtuel, une évocation dans mon esprit. Peut-être que ça servira, ou peut-être que j’en ferais jamais rien. Mais étiqueté et tagué, je peux le retrouver.
La bibliothèque est pour moi un centre de ressources.
Pour le projet radius, j’avais dressé trois profils de personnages, tous conservés dans la bibliothèque. J’en ai retenu un et un second a été « recyclé » dans le projet Voyager. Je pense que le recyclage est un processus important dans la créativité. Les « mauvaises » idées recalées dans le cours d’un projet peuvent révéler tout leur potentiel dans un autre. Je suis persuadé qu’il n’existe pas réellement de mauvaises idées, mais des situations dans lesquelles elles vont fonctionner et d’autres pas. Personnellement, j’adore le recyclage. Pour le projet Apocalypse, j’ai repris le personnage du cardinal Valero d’Hérésie Minérale. J’ai gardé les mêmes traits, le même caractère, mais je l’ai placé dans un contexte différent et j’ai étoffé son background. Idem pour le Hector de Toxic, à la base, c’est un personnage que j’avais imaginé dans le texte Dealer d’iceberg.
La créativité est par définition volatile, furtive, capricieuse, soudaine… Je me sens parfois dans la peau d’un chasseur de papillons, épuisette à la main, à l’affût d’un spécimen rare.