Écrire une série littéraire est une longue route, une aventure périlleuse, mais aussi merveilleuse et source de plaisirs. Point de conseils ou de cours sur la manière d’écrire, voyons ensemble les défis à relever pour arriver au bout de la route. Troisième point : la dynamique propre au format série.
Dans les articles précédents, nous avons abordé le défi de la durée et de l’organisation en série. Qui dit séries, dit épisodes, qui dit épisodes, dit découpage et qui dit découpage dit enchaînements, rythme, dynamique…
Si les séries possèdent un ton, une ambiance, une narration qui sont le fruit du travail et de l’imagination de l’auteur.e (Souvenez-vous : vos histoires, vos règles du jeu) ; elles ont leurs propres mécanique et articulation, plusieurs dynamiques qui s’entremêlent et se combinent, un peu comme de l’ADN qui se tortille au fond d’un bécher. Le choix du format série impose donc de découper une histoire en épisodes ce qui nécessite d’aborder des questions importantes : calibrage de l’épisode, est-ce que chaque épisode est « feuilletonnant », avec une histoire complète ? Est-ce que les épisodes de succèdent chronologiquement ? Est-ce que l’épisode propose un aparté, une boucle (sur un personnage, un lieu, un flash-back) ? Est-ce que les épisodes suivent une logique linéaire ? Est-ce qu’ils peuvent être lus dans le désordre ? Est-ce que l’on assemble les épisodes selon un crescendo (démarrage en douceur et plus d’enchère, d’action, jusqu’au final explosif ? Et quid du si important premier épisode d’une série ? Et le dernier ?
Réfléchir un minimum au découpage apparaît comme une étape clef dès la mise en place du plan (ou de la bible) tout en prenant conscience que certains épisodes seront perçus meilleurs que d’autres.
C’est inéluctable et il n’est rien que vous puissiez faire contre cela. Les lecteurs vous le diront : j’ai préféré l’épisode 3 parce que… Ou le 5, parce que… J’ai trouvé le 2 trop mou… Le démarrage est un peu longuet…
Le format série offre toutefois une richesse et une liberté appréciables, ainsi que de nombreuses possibilités : découpe selon une ligne temporelle, découpe selon le lieu, selon les personnages, déroulement en parallèle, par arc narratif, fusion des arcs, etc. Certaines seront plus naturelle tandis que d’autres impliqueront d’informer ou préparer le lecteur, dans tous les cas et quels que soient vos arrangements : cela influencera la dynamique (Par exemple : la vitesse de progression de l’intrigue).
Cependant, la dynamique, ce n’est pas l’histoire, ce n’est pas non plus la façon dont vous allez la raconter – ce sont vos règles –, la dynamique, c’est plutôt la manière dont vous allez exploiter le découpage pour jouer avec les émotions – ou les nerfs – du lecteur ; c’est la manière dont vous comptez utiliser certaines ficelles (comme les cliffhangers) pour générer de « l’addiction », créer un suspense intolérable, mais aussi : de l’émerveillement, de la découverte, de la curiosité, l’envie d’en savoir plus… C’est aussi la manière dont les épisodes vont s’assembler pour apporter des éléments nouveaux, alterner les ambiances et les points de vue.
La dynamique joue un rôle essentiel en série, peut-être plus que dans tout autre genre littéraire. Il est par exemple courant de terminer un épisode par une révélation, un cliffhanger, de l’achever sur une question posée qui relance l’intrigue principale, une découverte ou encore sur un événement heureux (Une union, une naissance, etc.).
Faut-il toujours terminer un épisode par un « cliffhanger » ? Ma réponse : non. Le « cliff » fonctionne tout aussi bien au début de l’épisode (D’autant plus que le lecteur ne vous menacera pas de poursuites s’il n’a pas tout de suite la suite). La dynamique intra-épisode nous amène à nous poser ce genre de questions : Doit-on commencer fort ? Terminer fort, par une chute ? Est-ce que je relance au milieu ou à la fin de l’épisode ? Comment gérer les points de vue, les équilibrer ? Est-ce que tous les personnages doivent s’exprimer dans un épisode ?
La bible et ses règles peuvent ici vous aider : c’est toujours le héros ou l’héroïne qui s’exprime en premier ou bien, chaque personnage important aura une, deux ou trois scènes (ou séquence)… Les variations sont nombreuses, mais poser les choses peut vous aider à équilibrer l’ensemble des épisodes.
Côté construction et dynamique globale, on parle beaucoup de deux types de séries : les feuilletons (chaque épisode conclut une histoire, comme une enquête) ou les séries à suites (Une histoire ou une saga est saucissonnée en tranches). Quoi qu’il en soit, il existe une dynamique propre aux épisodes.
Le premier réflexe, c’est de découper le récit en partie égales, en épisodes de même calibrage. Au-delà de la raison logique, les épisodes sont généralement vendus à un prix unique et le lecteur s’attends à une uniformité en termes de calibrage et de longueur (même nombre de mots ou de pages par épisode et prix unique). C’est une convention qui s’est imposée.
Sur le plan narratif cependant, rien n’empêcherait d’avoir des épisodes courts et d’autres longs, vendus à des prix différents ; rien n’empêcherait de mêler au sein d’une même série des épisodes feuilletonnants et suivis. À condition sans doute, de maitriser la cohérence et que la richesse de l’Univers le permette. Rien n’empêche de débuter chaque épisode avec des protagonistes différents (Cycle Fondation, d’Asimov). Rien n’empêcherait également de produire des épisodes supplémentaires relatant d’autres faits à l’écart de la trame principale (sur le parcours d’un personnage, par exemple).
Le format série permet d’exploiter bien des possibilités.
Certes, c’est chronophage, mais un épisode court (10 000 mots) est bien plus rapide à écrire qu’un épisode de 30 000… À propos, quelle taille doit faire un épisode ? Il n’existe pas de règles. Il semble qu’un consensus se dégage sur le minimum : au moins 10 à 15 000 mots pour un épisode.
Second point : l’enchaînement des épisodes participent à la dynamique de la série. Certains sont plus calmes, préparatoires, d’autres auront un rôle charnière ou pivot avec un point de bascule du récit (par exemple : des révélations sur un personnage, précipitation de l’action) ce qui va transformer les enjeux et marquer un tournant. Certains sont plus orientés action, d’autres possèderont un tempo moins soutenus (par exemple, lorsqu’on souhaite poser des éléments, étoffer un « background »).
La dynamique inter-épisode est plus délicate à régler et peut-être davantage dans les séries feuilletonnantes, d’où l’intérêt d’intégrer un fil rouge reliant les épisodes les uns aux autres. La force de ce fil (son intensité dramatique) joue un rôle important dans l’attrait global (Prenez le « Mentaliste » : toute la série tient dans une seule question : qui est John le Rouge ? Avec d’autres questions qui renforcent ce fil : Patrick Jane va-t-il déclarer sa flamme à Teresa Lisbon ? Autre exemple : Luke va-t-il céder au côté obscur de la Force ?)
Certains épisodes peuvent manquer d’attraits – de conviction – mais c’est le fil rouge qui va exciter la curiosité ou relancer l’intérêt.
La série propose enfin une troisième dynamique : celle des saisons.
Les saisons peuvent également être de longueur inégales et le calibrage et le nombre des épisodes varier d’une saison à l’autre. Les saisons peuvent être thématiques (la saison 1 des Foulards Rouge se déroule sur Bagne, la saison 2 sur Terre…), les unités des temps et de lieux, même de personnages, peuvent évoluer d’une saison à l’autre.
Il s’installe également une dynamique propre au début de saison où, traditionnellement, l’on pose les enjeux jusqu’au final où ces derniers connaissent une conclusion (violente ou heureuse) et ouvrent sur la nouvelle saison. Entre le début et la conclusion d’une saison, on peut parler de différence de potentiel – comme en électricité –, plus celle-ci est élevée, plus la saison gagne en intensité ou en drama. De façon général, une saison clôture un arc narratif important ou une période. C’est en général un moment important pour le lecteur dont la question sera : on continue ou pas ? Est-ce que la suite me paraît digne d’intérêt ou l’auteur va-t-il se contenter d’exploiter un filon dont l’attrait ne peut que diminuer avec le temps ?
L’assemblage des saisons consiste alors une forme de « continuum » ou une saga. Là aussi, certaines saisons seront plus appréciées que d’autres.
En série, plusieurs dynamiques s’entremêlent (intra-épisode, inter-épisode, inter-saison) toutes participent à l’attrait de la série. L’épisode constituant de fait la pierre angulaire de l’ensemble, il en existe un qu’il est préférable de ne pas rater : le premier épisode.
Ce qui fera l’objet du dernier article.