On dit souvent que les vingt ou trente premières page d’un roman sont cruciales pour son avenir – tant éditorial que commercial –, c’est probablement encore plus vrai pour le premier épisode d’une série. Soit la mayonnaise prend, soit elle ne prend pas… (Et là, c’est le drame !)
Le verdict peut se montrer sévère : je n’accroche pas, j’abandonne la série.
Dans un roman, on peut prolonger l’expérience, puisqu’il n’y a qu’à tourner la page en espérant trouver davantage d’intérêt à l’histoire plus loin. Pour une série, il faut acheter la suite… Les freins sont plus importants : est-ce que ça vaut le coup ? J’hésite ? Bon, on verra plus tard…
À ce titre, la stratégie du premier épisodegratuit est intéressante : elle permet au lecteur de découvrir l’univers, la plume de l’auteur.e, son univers, de saisir – en gros – les codes et fondements de l’histoire (La bible) et donc de déterminer si ça vaut le coup de se plonger dans l’affaire. C’est également un enjeu au niveau éditorial, nous y reviendrons un peu plus loin.
La stratégie peut aussi se retourner contre son auteur : puisque ce n’est pas satisfaisant, je décide d’autant plus facilement de lâcher une affaire qui ne m’a rien coûtée. Lorsqu’il achète un roman, le lecteur peut – paradoxalement – se montrer moins « brutal » et vouloir aller plus loin pour rentabiliser son achat. Des fois que la suite se révèle plus prometteuse.
La gratuité se révèle donc plus complexe à manipuler qu’il n’y paraît de prime abord.
Le premier épisode d’une série doit donc résoudre une équation délicate, relever une série de défis, parfois contradictoires, souvent compliqués à organiser ; et son rôle d’impulsion, de tonalité et de dynamiques ne sont pas à négliger. Il est certainement préférable de ne pas le rater, ce qui peut mettre une pression supplémentaire en entraînant un « sur-travail » sur cette entrée en matière.
Ceci étant, il faut toutefois relativiser : de l’aveu des lecteurs, l’épisode 1 de Toxic a été le moins apprécié, donc il est possible de se rater un peu.
Le premier épisode montre ainsi la voie : il pose les principaux enjeux de la série ou de la saga et annonce une question fondamentale : l’Humanité va-t-elle survivre ? Le plan de Harry Seldon va-t-il réussir et mener au Second Empire Galactique ? Lara Carax va-t-elle sauver les foulards rouges et la Terre ? Qui sera le prochain sur le trône de fer ? Les gens vont-ils découvrir la vérité en dehors des silos (Hugh Howey, série Silo) ?
Il introduit l’univers, ses codes, ses personnages principaux ; plante le décors et l’ambiance, conduit au déclencheur de l’histoire (souvent le premier temps fort de la série), soulève le voile vers d’autres intrigues. Au-delà du fond, l’épisode porte la marque de son auteur : ton, style, rythme, fluidité.
En somme, il représente une véritable entreprise de séduction, d’autant qu’il n’y a pas que le lecteur à séduire. En premier lieu – nous en revenons au premier article – il s’agit de convaincre un éditeur, car la durée qu’impose l’exercice de la série nécessite de prendre les devants. Assez rapidement d’ailleurs, pour se libérer l’esprit d’un stress important : vais-je réussir à la publier ?
Le premier épisode constitue alors une sorte de « pilote » et comme pour les séries télévisées : il peut être déterminant.
Ceci dit, mon avis sera toujours le même : faites confiance à votre instinct et n’hésitez pas à proposer pitch, résumé et premier épisode dès qu’ils sont prêts. (Et monter un épisode de 15 à 30 000 mots va infiniment plus vite que d’écrire et proposer un roman complet… Prenez le comme un avantage.)
Même si l’ensemble de votre projet n’est pas bouclé : il peut – il va, c’est même certain – changer, évoluer en cours de route. Ce premier épisode sera peut-être pas parfait, mais à mon sens, il doit poser les codes et porter l’ADN de la série. C’est peut-être la valeur la plus importante qu’il doit véhiculer.
En conséquence, il arrive souvent que le premier épisode soit le fruit d’un compromis ou bien, qu’il constitue un véritable choc qui peut avoir pour conséquence de faire redescendre le soufflet sur les épisodes suivants (C’est un peu le ressenti que j’ai eu sur la série Silo de Hugh Howey : un démarrage magistral, une suite qui s’étend en longueur et un final approximatif). Le fait est : on ne peut pas courir toujours à fond. L’éditeur, les alphas lecteurs peuvent vous aider à régler le moteur (pour emprunter à la mécanique).
J’en terminerai avec un élément relativement important qui, en général, s’impose plus tard. Le lecteur étant bien immergé dans votre univers, ses personnages, il en a acquis les codes, comprit le sens, et après quelques épisodes, un sentiment de routine peut s’installer et les situations avoir un goût de déjà-vu. De ce fait, une série doit être capable de se renouveler et de se relancer (sans toutefois trahir son ADN). Et comme je le disais au début : tuez vos personnages chéris… (si, si) ; remettez en cause certains éléments tenus pour acquis (des ennemis d’hier devenus alliés), bouleverser des ordres établis (des gentils pas si gentils que ça, des méchants moins méchants…), jouez sur les nuances.
Une série dynamique, passionnante est sans doute apte à proposer des renversements et à surprendre à tout moment.
Pour conclure cette série d’article, je pense que la série littéraire est un exercice exigeant à tous les points de vue : durée, organisation, dynamique, complexité. C’est aussi un exercice passionnant, riche, une véritable aventure pour ceux qui la tentent : pour l’auteur.e, ses lecteurs, son éditeur.
La série possède bien des points communs avec l’écriture de romans, mais la longueur, le découpage et les rythmes y sont assez différents. La série reste néanmoins un classique de la littérature et presque tous les grands s’y sont frotté (Tenez, la série des Rougon-Macquart regroupe 20 romans écrits par Zola, dont Germinal est l’épisode le plus connu). Et si la profusion actuelle donne un sentiment de « trop plein », il apparaît que son potentiel n’est pas épuisé, qu’elle se renouvelle sans cesse.
Voilà, c’est fini !
J’espère que cette escapade au pays des séries vous aura bien plu.