La plupart des créateurs ont eu une période.
Picasso a peint en bleu,
l’artiste belge René Magritte a eu une période vache,
le romancier de science-fiction Asimov une période Robots…
J’ai eu une période Z.
Une période est une étape chronologique dans la production d’un artiste qui semble former un ensemble cohérent différent du reste de son œuvre, notamment de par les techniques employées, les styles manifestés ou les thèmes représentés.
Je coche toutes les cases : entre 2012 et 2020, j’ai produit un ensemble (dé)cohérent de textes – par ailleurs chacun assez différent – sur la thématique zombie, que ce soit en roman, nouvelle ou série (surtout en série en fait). Et avec un style de narration, le pulp.
J’ai eu ma période Z et… je n’avais pas planifié ce genre de chose. Je veux dire, en 2012. Il y avait l’affaire du calendrier maya, la fin du monde, le centenaire du Titanic fêté à sa manière par le capitaine du Costa Concordia, l’ouragan Sandy… En ces temps troublés où chaque jour ou presque ressemblait à un film catastrophe, j’ignorais que j’allais entrer dans ma période Z. Moi qui avais dit un jour sur un forum d’écriture : « Je me vois mal écrire une (énième) histoire de zombies ».
C’est souvent qu’on dit qu’on ne fera pas un truc et qu’on finit quand même par le faire…
Donc je l’ai fait.
J’ai écris une histoire de zombies.
Pour le fun. (C’est souvent ce qu’on dit pour se justifier : c’est festif).
En cette année 2012, donc, alors que le monde courait à sa perte, j’étais loin – mais alors très loin – de penser que j’allais en prendre pour 8 ans. Je n’imaginais même pas que l’affaire en question (des zombies ET des aliens) et qui ne s’appelait même pas encore Toxic, allait intéresser quelqu’un.
Qui ? À part les quelques personnes qui suivaient le challenge parce que ça avait l’air marrant.
Et ça l’était.
C’est le principe même du projet récréatif. Ça doit être marrant et jouissif. Festif.
On sourit bêtement devant son écran comme quelqu’un qui vient de faire une farce. C’est ça, jouissif. (Si c’est votre cas, ne lâchez pas votre clavier. Même pour aller aux toilettes.)
Ça m’est resté. D’autres projets récréatifs sont devenus des séries.
Ça c’est passé durant l’été 2012, on était à quelques mois de la fin du monde et je reçois ce message sur le forum où j’exposais quelques scènes de ce projet marrant que je ne voyais pas atterrir sérieusement chez une maison d’édition :
« Ça nous intéresse, peux-tu nous envoyer un synopsis et un premier épisode rédigé ? »
C’est comme ça que ça a commencé, par une chaude journée de cet été 2012 qui devait être le dernier.
Toxic et la maison d’édition Walrus ont lancé ma carrière.
J’ai donc travaillé avec un coach, soit la personne qui vous aide à épaissir l’histoire : là, tu dois tuer untel… T’es sûr ? il est bien lui… Oui, oui, G.R.R Martin il le ferait lui. Sans hésiter. Tous les auteurs tuent des gens bien. C’est un cap à passer… OK, on le zigouille alors.
Parfois, je me retrouvais dans la peau d’un cuisinier qui épaissirait la sauce d’un bourguignon à l’hémoglobine pour lui donner plus de caractère.
C’était un travail indispensable et très formateur.
J’ai appris pas mal de choses aux côtés de Walrus et je les en remercierais toujours.
Walrus a disparu en 2018 et pour le coup, ça a été la fin d’un monde.
La période Z s’est achevée après 8 années, de 2012 à 2020 :
Toxic
3 saisons, 18 épisodes, près de 600 000 mots,
plus de 3,3 millions de signes, chez Walrus, puis Gephyre.
Une magnifique édition papier en 6 volumes et 2 éditions en numérique.
Zoulag
4 épisodes, 100 000 mots, 600 000 signes,
chez Walrus (pour 2 épisodes), puis les Éditions du 38.
Une intégrale en papier et numérique. Il reste quelques rares exemplaires papier (les couvertures orange, des collectors !) des 2 premiers épisodes parus chez Walrus.
Anneaux, mirabelles et macchabées
2 saisons, 8 épisodes, 110 000 mots,
dans les 650 000 signes, chez Nutty Sheep.
Deux intégrales en papier et 8 épisodes en numérique.
Monaztère
Nouvelle, 16 000 mots, 91 000 signes.
Une édition électronique, exclusivité du programme de mécénat.
Avec le recul et j’en parlais il n’y a pas longtemps avec quelques amis, Toxic était une folie.
Le truc avec les folies, c’est qu’on s’en rend compte souvent après coup.
Quand on est dedans, c’est la fête tous les jours. On fonce. On s’amuse. On dépense sans compter.
Et on bosse.
J’ai appris plein de choses, j’ai progressé aux côtés des correcteurs, correctrices, des éditeurs, éditrices chez Nutty, chez Gephyre, Walrus et au 38. Je me suis enrichi au contact des artistes, pour des illustrations, pour les couvertures.
Ma période Z a aussi été celle de la découverte d’un monde. Celui de l’édition.
Et les salons.
Et le contact avec les lecteurs, les lectrices.
(Des zombies et des aliens ? Mais comment… Comment est-ce arrivé ? Je… Je tiens à dire que ces histoires ne sont pas issues de la consommation de produits illicites. Comme je dis parfois : tout est réfléchi, rien n’est calculé.)
L’ennui avec la lettre Z c’est qu’il n’y a plus rien après (sauf ces signes bizarres qu’on nous demande pour créer un mot de passe ou pour censurer de vilains mots…).
Je me dis que j’aurais dû commencer avec ma période A et j’aurais eu plus de munitions pour la suite.
J’aurais eu une période B, C… J’aurais sûrement sauté la période Q.
J’ai appris une chose importante durant cette période, peut-être l’enseignement plus important en ce qui me concerne, en tant qu’auteur.
Le leimotiv est mille fois répété sur les réseaux : tout a été écrit, tout a été inventé, il n’y a plus d’originalité, surtout en science-fiction, fantastique, horreur, etc.
Le thème zombie a certes été écumé en long en large et en travers par des générations d’artistes et pourtant… Toxic et Zoulag sont des exemples de récits originaux sur ce thème “usé jusqu’à la corde”. Sans pour autant renier les codes du genre.
Moi même, je ne pense pas avoir fait totalement le tour de la question.
Il reste des territoires Z inexplorés.
Il n’est pas impossible que j’y refasse une incursion.
Le problème avec les périodes, c’est qu’elles ne sont jamais totalement et définitivement terminées.